Afin de favoriser des prestations médicales dont la plus-value est réelle pour la patiente ou le patient, le CHUV est engagé dans la lutte contre la surmédicalisation.
Aux Etats-Unis, certaines voix se sont élevées afin de mettre en garde contre les conséquences d’un excès de soins médicaux. En 2011, des médecins américaines et américains lancent l’initiative Choosing Wisely («Choisir avec sagesse»), qui favorise les prestations médicales dont la plus-value est bien réelle pour la patiente ou le patient. Cette démarche vise aussi à mieux partager le processus de décision entre patiente ou patient et médecin. En Suisse, l’association Smarter Medicine a lancé une campagne pour lutter contre la surmédicalisation. Y sont associés la Société suisse de médecine interne générale (SSMIG) et l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM), mais aussi les patientes et les patients.
Dans le domaine des soins hospitaliers, la Société suisse de médecine interne générale recommande de ne pas pratiquer certains tests et prestations. Elle conseille, par exemple, de ne pas effectuer des prises de sang à intervalles réguliers ou de ne pas planifier des batteries d’examens sans répondre à une question clinique spécifique, ou encore, pour des patientes et patients qui ne sont pas en soins intensifs, d’éviter de laisser en place une sonde urinaire uniquement pour des raisons de commodité.
Dans le cadre de l’une de ces recommandations, et afin de ne pas laisser les personnes âgées alitées pendant leur séjour à l’hôpital, le CHUV a décidé de lancer un projet dans le domaine de la mobilisation.
Personnes de référence
Docteure Oriane Aebischer, cheffe de clinique, Service de médecine interne
Docteure Fanny Blondet, cheffe de clinique, Service de médecine interne
Docteure Marie Méan, médecin associée, Service de médecine interne
Depuis 2017, le Service de médecine interne diffuse un ensemble de recommandations destinées aux équipes médicales et soignantes. Transmises très activement, elles ont permis de réduire les prescriptions excessives et de remettre en question certains actes de soins.
«Une nuit folle? Pas d’Haldol!» Dans le bureau des cheffes et chefs de clinique du Service de médecine interne, on trouve aux murs de petites affiches colorées avec des bulles sur fond rouge, vert ou jaune. Au centre de chaque placard, un slogan percutant alerte le personnel médical ou soignant sur certains comportements professionnels à suivre ou à éviter. L’Haldol? Il s’agit d’un neuroleptique que les médecins peuvent donner aux malades en état confusionnel. Mais il arrive parfois que le personnel médical administre ce médicament un peu trop facilement.
Depuis quelques années, à l’instar d’autres grands hôpitaux, le CHUV s’est lancé dans une nouvelle approche de soins. Nommée «Smarter medicine – Choosing wisely» (littéralement: «Une médecine mieux ciblée – Choisir avec pertinence»), cette démarche consiste à éviter les gestes médicaux superflus et les prescriptions de médicaments inutiles, voire néfastes. «Antibiotiques? Oui, mais pour 5 jours», dit une deuxième affiche dans les locaux du Service de médecine interne. Le problème de l’excès d’antibiotiques est connu: il augmente la résistance des bactéries et menace de rendre un jour ces médicaments inefficaces. Les risques d’un neuroleptique tel que l’Haldol sont moins connus: il peut interagir avec certains médicaments ou causer une arythmie. De plus, ses bénéfices sur la durée de l’état confusionnel, la durée de séjour ou encore la mortalité ne sont pour l’instant pas démontrés.
Mais pratiquer une médecine pertinente implique aussi de suivre de nouvelles pratiques. L’une d’elles consiste par exemple à dépister systématiquement un état de dénutrition chez les patientes et patients qui arrivent à l’hôpital. Pour qu’une personne vive au mieux son séjour hospitalier, un bon état nutritionnel est primordial. Si elle est dénutrie, elle risque d’aborder une opération avec un organisme trop faible. Un dépistage permet alors de mettre en œuvre des mesures qui permettront de le renforcer. Le Service de médecine interne effectue ce dépistage en évaluant l’alimentation de la patiente ou du patient une semaine avant son hospitalisation, et en repérant une éventuelle perte de poids lors des derniers mois. L’évaluation prend également en compte l’âge de la personne et la gravité de la maladie.
Dès 2017, le Service de médecine interne du CHUV a rédigé des «recommandations pour la pratique clinique» (RPC) destinées à mieux prendre en charge les pathologies que ses équipes rencontrent le plus souvent, telles que la pneumonie, l’hémorragie digestive haute, la pyélonéphrite, le syndrome coronarien ou l’embolie pulmonaire aiguë. Elaborées par une vingtaine de médecins spécialistes en collaboration avec les infirmières, les infirmiers et les physiothérapeutes, ces RPC forment un corpus commun de lignes directrices que tous ces métiers peuvent suivre pas à pas pour le diagnostic et le traitement de leurs malades.
Rédiger des recommandations n’est cependant pas tout: encore faut-il qu’elles soient véritablement appliquées. Imprimées sous forme d’une petite brochure de 27 pages à glisser dans une poche, les RPC du Service de médecine interne se trouvent aussi sur TRIBU, le site intranet du CHUV. Le Service de médecine interne a de surcroît mis en œuvre une stratégie active d’enracinement par le biais d’«ambassadrices» et «ambassadeurs». Composées de plusieurs professions médicales et soignantes, ces équipes font connaître les recommandations aux personnes concernées, notamment les plus de 100 médecins assistant·e·s en formation, et elles sont donc très mobiles au sein de l’hôpital. Quant aux affiches, elles sont posées un peu partout sur les murs du service, le plus grand du CHUV avec ses 400 collaboratrices et collaborateurs.
Depuis le début de cette mise en œuvre, les recommandations pour la pratique clinique ont très clairement influencé la pratique des équipes médicales et soignantes au sein du Service de médecine interne. La prescription d’Haldol a chuté de moitié, tandis que le dépistage de la dénutrition a augmenté de 50%. Enfin, pendant la même période, le Service de médecine interne a vu baisser la durée moyenne de séjour des patientes et patients en son sein, ce qui a permis d’augmenter son activité. S’il est encore trop tôt pour affirmer que ces changements sont bien dus au bon suivi des recommandations, la littérature scientifique montre que ce type de mesures, lorsqu’elles sont suffisamment appliquées, génèrent ce type d’effets.
Au vu des résultats prometteurs, le Service de médecine interne va donc poursuivre les projets «Smarter medicine – Choosing wisely». Le suivi des bonnes pratiques médicales et soignantes suscite une réelle prise de conscience et permet de développer des projets qui améliorent la qualité des soins.
L’étude de l’adhérence et l’impact après 18 mois du projet de recommandations pour la pratique clinique en médecine interne a reçu un diplôme du jury pour l’excellence des résultats obtenus lors de la journée Qualiday 2019.